PARCOURS EN 9 ACTES – Par Marcel Ivars et Jérôme Belijar

PARCOURS EN 9 ACTES

Par Marcel Ivars, moniteur éducateur, et Jérôme Belijar, éducateur spécialisé (ADIR).

Texte présenté lors de la 6e Journée de l’ADIR. Les prénoms des enfants ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

Cet écrit s’est construit autour de la question subjective de César, lisible dans son rapport au corps, dans ses constructions et dans ses ébauches de solutions.Nous avons choisi de retranscrire dans l’après-coup le cheminement de César, en mettant en relief les actes et évènements clés qui ont eu des effets subjectifs.

À son arrivée il y a quatre ans, César montrait beaucoup d’angoisse ; il s’affrontait à un réel brut, un monde chaotique et difficile. Tout le lien à l’autre était problématique, ce qui a pu se traduire par de l’agitation, des gestes d’humeur, voire de violence, en particulier dans les moments de frustrations ou d’incompréhension. César se positionnait souvent à la périphérie du groupe. L’incidence de notre regard et de notre voix était douloureuse ; il fallait se montrer délicat. Nous déclinerons huit actes et un final.

Acte I – Le sommeil

Le sommeil fut la première solution choisie par César face à un réel et une réalité débordante. Pour faire face au trop d’Autre, César choisissait le retrait. Quel que soit le moment, il pouvait s’allonger et dormir. C’est ce qu’il fît lors d’une présentation de malade. Dans le monde de sommeil, il abolissait l’espace et le temps.

Acte II – L’errance

Puis l’errance a pris le dessus. César gravitait autour du groupe et refusait de s’inscrire dans les temps de l’institution. L’angoisse était exponentielle ; depuis l’angoisse de l’entre-deux de la transition jusqu’à celle de son arrivée à l’internat, où la violence prenait de l’ampleur. Les crises étaient de plus en plus intenses ; le regard de plus en plus absent ; la parole de plus en plus confuse.

Acte III – Le minimalisme

Mais un lieu restait central : sa chambre. Il lui fallait à tout prix la vider. Il fallait casser la chambre. Il fallait casser son lieu de vie. Alors César a commencé son travail d’épuration, son travail de vidage. Sa chambre a perdu petit à petit tous ses meubles : l’armoire a disparu, le lit, les tableaux ont suivi, jusqu’aux tapis ! Sa chambre n’était plus qu’un matelas posé sur le sol. César pouvait enfin rejoindre cet espace. L’équipe accepta sa réaction face à l’encombrement de l’objet. Accepta d’être manquante, laissant César créer sa place par le vide.

Acte IV – L’importance des objets

La place, il a pu l’avoir. Puis vint la trouvaille des objets comme source d’apaisement. Des objets qu’il affectionne. Des objets qui le racontent. L’errance a alors fait place à un semblant d’ancrage. César semble être entouré par une constellation d’objets qui le bordent.

Ainsi, il a commencé à investir des jeux de construction et le dessin. Il se livre à un travail logique et productif. Il semble refaire son environnement, à commencer par sa ville. Il nomme : « C’est B. ; c’est la cuisine. » Il crée un monde qui lui appartient, un monde qui n’a rien d’imaginaire, qui prend place – et beaucoup de place – dans le réel. Ses productions deviennent ritualisées, répétitives et envahissantes. César vide, construit, transvase les menus objets d’une caisse à l’autre. Il fait disparaître une pièce de puzzle. Il réalise selon sa propre logique. Investit selon sa propre temporalité. Face au blanc d’une feuille, César remplit, construit sans tenir compte de la limite d’un bord.

Acte V – La mise en mots

Et nous ? Nous avons donné une valeur aux productions et créations de César. D’abord en nous y intéressant, en prenant en compte la réalité qui est la sienne. Nous avons pu introduire la notion de limite sans recourir à l’exigence et à l’interdit. Les objets lui ont permis un passage du lieu au lien. Il recherche alors notre regard, notre attention, en nous nommant, en nous expliquant à sa façon le monde qu’il réalise. S’agit-il là d’un salut par l’objet ? En respectant son temps subjectif, César a pu accepter en retour les temps institutionnels.

Acte VI – Les objets permettent la transition

Pour parer à son angoisse de transition, son angoisse des temps et espaces entre-deux, César pioche dans la pléiade de ses objets. Notamment, pour rejoindre sa chambre, il se saisit d’un tas de livres. Le geste de feuilleter semble lui apporter un apaisement nécessaire pour se préparer au sommeil. Cela se manifeste aussi par son besoin d’avoir un sac les contenant.

L’objet semble permettre le lien entre les différents lieux où il doit se rendre ; il a fonction de soutien. Il ne s’agit pas là d’un appareillage du corps au sens strict du terme, mais bien plus d’un objet qui l’aide à accepter la demande de l’éducateur, à avoir confiance. Il tient alors un peu plus compte de notre réalité et ses contraintes.

Acte VII – Un désir particularisé

Il y a à peu près un an, la question d’un ailleurs pour César s’est posée. Lui-même manifestait un point d’impossible en présence du groupe des enfants. Ce point raviva ses angoisses, sa violence. La frustration se déchainait devant un refus ou une non compréhension de sa demande. Il semblait se déliter dans un moment marqué par l’incertitude et la confusion.

Ce point d’impossible a été mis au travail par l’équipe. Devant l’incertitude sur son devenir (où l’orienter ?) et après une période de latence, une tentative de passage au groupe des adolescents a été envisagée. Un désir particularisé nous a animé pour que quelque chose advienne. Ainsi, l’équipe a porté la parole de César, s’est déplacée pour soutenir son passage sur la structure adolescents.

Puis il y a eu l’effet de la réalité. À la vérité, le passage ne pouvait pas avoir lieu. Il a fallu que nous l’acceptions, puis que nous le nommions. Il a fallu le dire à César. Mais, avant tout, il a fallu que nous attendions quelque chose pour lui afin qu’il puisse se construire en tant que sujet. Notre désir nous a remis au travail. Nous avons recréé du lien avec lui, décortiqué ce qu’il a fait, ce qu’il a mis au travail.

Acte VIII – La production

Maintenant, César nous présente des personnages dessinés : Foxy, Chica et Bonnie. Ce sont ses alter ego. Il les nomme, les garde auprès de lui, les fait exister et réciproquement. À travers eux, il accepte la parole de l’éducateur.

La difficulté du lien à l’autre, la menace par l’objet regard et l’objet voix, n’ont pas disparu mais se sont atténuées. César arrive à se poser plus régulièrement avec le groupe ; il est moins dans l’errance, peut jouer avec un autre enfant, partager des rires… Il arrive même à parler de lui avec le « je » ; il pose des demandes.

Ses productions forment petit à petit des nouages. L’équipe a validé son appareillage ; nous nous adressons à ses personnages pour ancrer notre discours dans sa réalité. Pour autant, ce bricolage est précaire. César traverse encore des moments d’angoisse si aucune réponse n’est apportée par l’éducateur à sa demande…

Un autre événement a surgi en même temps que ses productions : la sexualité.

Jusqu’alors, César semblait être enfermé dans une jouissance solitaire. Désormais, elle est en rapport avec ses personnages. En effet, il demande qu’on lui dessine un personnage féminin, Chica. Elle porte une culotte, il la toucheCela a bousculé les éducatrices. La question de l’en-trop se pose dans la relation à elles. César passe d’un extrême à l’autre, du peu, ou pas, au trop.

Acte final – Un appareillage embryonnaire ?

La castration n’a pas fait limite dans cette psychose ; il n’y pas de langage et donc pas de refoulement mais un inconscient à ciel ouvert et une vie pulsionnelle difficile à réguler. Nous ne pouvons pas parler d’appareillage dans le cas de César. Ses solutions, ses bricolages soutiennent l’émergence d’un appareillage embryonnaire mais elles sont la marque du sujet, son empreinte, le fait de sa singularité.