PARTICULARISER L’ACCOMPAGNEMENT : LAURENT – Par Fatima Khlifi

PARTICULARISER L’ACCOMPAGNEMENT : LAURENT

Par Fatima Khlifi, monitrice-éducatrice.

Laurent (le prénom a été modifié) connaît actuellement des changements rapides. Ce texte entend mettre en relief les articulations entre l’accompagnement mené auprès de cet enfant et les effets produits, conséquences de nos choix et des bougés du sujet.

L’évolution à laquelle on a pu assister s’est faite grâce à sa participation active. L’accompagnement reste donc conditionné par le désir du sujet. Ce cas permet en outre d’aborder différents points de structuration : la mort, la séparation, la sexualité, l’Autre. L’accompagnement d’enfants psychotiques est un travail spécifique qui demande sur ces points un réajustement constant.

Un enfant en colère

Laurent est un jeune garçon de neuf ans en internat.

Dès les premiers temps, nous relevons ceci :
– beaucoup de difficultés à se poser,
– une « attitude » de colère quasi permanente,
– l’ absence de centres d’intérêts,
– peu de verbalisation et de communication.

Lorsqu’il s’adresse à un autre, il élève souvent la voix, emprunte aux enfants des “cités” leur jargon et leur attitude. Il semble les imite mais les mots n’ont pas de sens. Il passe la plupart de son temps à hurler, manifestant un cri qui n’est pas un appel à l’autre.

Laurent parle très peu. Parfois, il se bouche les oreilles avec du papier. Un jour, il précise voir des “monstres” au plafond mais sans dire entendre des voix. Peut-on dire qu’il se bouche les oreilles pour ne pas les voir ? Hormis cela, rien dans son comportement ne peut laisser penser qu’il est envahi par des hallucinations auditives et /ou visuelles.

L’accompagnement exige un travail particulier qui se réalise en partie en réunion clinique. Notre travail consistait à rapporter cette situation pour pouvoir s’en décaler plus tard. De manière indirecte, nous avons trouvé les moyens de permettre à Laurent de ne pas s’enfermer dans cet état en ne réprimandant pas le cri.

L’ADIR oriente le travail clinique à partir d’une référence à la psychanalyse. Cela signifie une considération de l’être du sujet jusque dans la prise en charge au quotidien. L’accompagnement d’enfants en grande difficulté avec l’autre rend nécessaire, en effet, une réflexion basée sur une observation, un questionnement, une mise en commun des pratiques individuelles, dans le but de dégager des pistes pour accompagner l’enfant au plus juste et dans le souci d’un mieux être. L’accueil, le suivi au quotidien supposent aussi une capacité à se laisser enseigner par l’enfant, ce qui n’est pas évident car chacun a ses propres résistances, ses a priori.

De l’opposition à l’affirmation

Quelques mois après son arrivée, les cris de Laurent sont devenus moins fréquents. Par moment, lorsqu’il crie, il sourit ou jette un regard vers l’éducateur. Ce détail nous montre que ses cris ont trouvé une adresse. Par la suite, ils se transformeront en une forme d’interpellation de l’AutreDans un dernier temps, le cri laissera place au mot.

Lui dire quelque chose de ses cris de manière décalée a permis d’établir une relation ; un lien nouveau s’est construit, d’avantage basé sur la parole, sur des mots. Dans les premiers temps, Laurent se suffisait du rapport duel qu’il pouvait entretenir avec certains. Il a consenti, après un certain temps à l’internat, d’en passer par le langage, donc de passer par un Autre.

J’évoquerai, à titre d’exemple, la relation établie avec Édouard (prénom modifié). Cette relation avec un autre enfant s’inscrivait dans un rapport particulier : Laurent se faisait l’objet de l’autre en se mettant à la merci de ce partenaire qui le mal-menait à sa guise. Laurent était dans une incapacité de se séparer de cet autre-là, il cherchait et recherchait l’accord, la présence d’Édouard, quitte à renoncer à ce que lui aurait eu envie de faire. Il était devenu nécessaire de dissocier ce duo. En effet, Laurent avait fini par s’opposer aux décisions de cet autre, son NON se marquait par une entrée en conflit. On assistait souvent à des confrontations physiques.

Pendant un certain temps, nous avons privilégié la séparation aux repas, pendant les jeux et en sortie. Cette stratégie visait à produire, pour Laurent comme pour Édouard, une ouverture vers d’autres enfants, d’autres propositions. On a pu remarquer que cette attitude d’opposition traduisait de la part de Laurent une affirmation mais aussi une prise de position qui restait cependant quelque peu fragile. Les conflits étaient violents, fréquents et finissaient par une séparation brutale. Après une telle rupture, Laurent semblait perdu, n’acceptait plus aucune proposition. Par contre, il cherchait de nouveau la présence d’Édouard. Pour éviter de le laisser dans cet état, les membres de l’équipe lui faisaient des propositions (jeux, bain) qu’il refusait. Être avec Édouard paraissait difficile mais sans lui, cela était pire.

Aujourd’hui, Laurent a la capacité de se positionner face à Édouard et de s’en détacher. Ainsi, la séparation se termine moins souvent par un conflitSimultanément, il y a eu aussi émergence de centres d’intérêts (dessins, animaux, motos, etc.) qui ont contribué à de nouvelles relations. Le dessin s’est révélé un support intéressant, à travers lequel il a pu aborder les questions qui le préoccupent. Il apparaît alors comme un appui au langage.

Questions cruciales

Laurent ne s’est intéressé au dessin qu’à partir d’une proposition faite au cours d’une situation particulière. Alors qu’il criait et sautait dans tous les sens, ayant remarqué qu’il s’était fait des dessins sur les avant-bras, je lui ai demandé ce qu’il s’était tatoué. Il me répondit calmement que c’étaient « des beaux et mauvais rêves”. Je lui proposai alors de les redessiner pour avoir la possibilité de s’en défaire. Il était nécessaire de passer par la réalité : dessiner, déchirer, jeter pour pouvoir s’en séparer. Il accepta à condition que je joue avec lui. Ce support lui a permis notamment :
– de se détacher, en partie, de ses mauvais rêves,
– de m’adresser ses interrogations sur la sexualité des filles, des garçons. Il sait par exemple que les filles portent des jupes et les garçons des pantalons. On pourrait penser que Laurent est à même de faire la distinction entre filles et garçons mais il en est rien.

À travers un dessin significatif, j’ai pris conscience de la difficulté dans laquelle il se trouvait face à cette question sur la sexualité. Il avait dessiné un enfant qui présentait les caractéristiques des deux sexes. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il avait fait, il m’a répondu : « C’est un garçon qui se transforme en fille. » Il s’est mis ensuite à se taper la tête en disant et en répétant « Mother fuck you ». Je me suis rendue compte qu’il a été mis à mal par ce dessin qui illustre un enfant au sexe indéfini.

Aujourd’hui, Laurent interroge les autres membres de l’équipe sans pour autant passer par le dessin, ce qui traduit une plus grande capacité à verbaliser. La sexualité ainsi que la mort sont des sujets qui l’embarrassent : « Où on va quand on meurt? Est-ce que tu vas mourir? Je vais mourir moi? Quand on est bébé on meurt ? »

Par leur forme, ces questions cruciales sur la vie, la sexualité, la mort et l’interdit témoignent d’une avancée. Elles trouvent désormais une voie vers plus de symbolisation. Tout cela montre comment Laurent a entrepris une élaboration alors que, dans un premier temps, il se défendait, par le faire ou le se faire.

F. Khlifi